Du Voyage en République de Géorgie

Géorgiens, de quoi êtes-vous le nom ?

Un voyage en république de Géorgie nourrit son voyageur. Celui-ci rentre chez lui ni assoiffé, ni affamé et les qualificatifs qu’il attribue aux mets et aux vins qu’il a découverts et consommés en Géorgie, varient selon sa sensibilité. Toutefois, il est probable qu’il les trouve diversifiés, étonnamment élégants et diversifiés pour les vins de Kakhétie, à la fois simples, nourrissants et raffinés pour les mets. Il rentre chez lui initié aux toasts à ses hôtes et prend goût à fredonner quelques airs de chansons polyphoniques qu’on chante à Noël et finalement, toute l’année. Il se souvient des villages et des campagnes traversés où la vie à l’air libre s’apparente à un leitmotiv généralisé. Des villages où les villageois sont dans la rue, discutant, jouant, changeant un pneu là où la route est encore mauvaise et faisant commerce de leur miel, de leurs fruits et de leurs légumes astucieusement présentés à l’arrière des véhicules. Des campagnes où les chevaux, les chiens et le bétail sont sur la route et les conduites de gaz sont à découvert, à l’occasion créant un cadre insolite au paysage. Il garde le goût de la noisette et de la noix, de la sensation de fraîcheur sous les hêtres, les frênes et les bouleaux peuplant les forêts des parcs nationaux et des réserves naturelles, de Lagodékhi ou ailleurs. Il s’enorgueillit d’avoir arpenté des sentiers du Caucase ou d’avoir approché le mont Kazbek, cratère sommital à 5047 mètres, là où Prométhée puni par Zeus pour lui avoir désobéi au profit des hommes, aurait passé de sales journées, enchaîné et torturé par un aigle. Un voyage en Géorgie génère enfin nombre de questions auxquelles le voyageur s’aventurera à répondre.

Bains d'Orbéliani Tbillissi

Bains d’Orbéliani à Tbillissi

Le nom de vos mythiques aïeux, de Karthlos, l’enfant de Babel donc initié à la pluralité des langues et des cultures, ou de Saint Georges de Lydda, votre saint patron aux pieds duquel gît un dragon?

Tbilissi

Quartier à Tbilissi

Le nom d’une heureuse déconvenue avec Dieu, quand vous lui avez fait faux bond le jour où il partagea la terre entre tous? Mais puisque vous buviez tout à la santé de Dieu, gardant la table de toast en toast à son nom, il vous destina à vivre là où ne devait vivre aucun homme, là où Marie, soucieuse de se réserver un coin de paradis terrestre, comptait faire construire sa datcha? Le nom d’un nez, de ce nez incomparable aux nez les plus invraisemblables et qu’Alexandre Dumas a tenté d’approcher par des pages et des pages d’écriture, au retour d’un voyage en Caucase dont il fit l’éloge? Le nom de la Terre des loups de vos ancêtres ou de la girafe de Pirosmani? Niko Pirosmani, l’artiste peintre autodidacte et référence nationale, qui avant Sophie la girafe, peignit l’animal qui chacun vous attendrit.

Poursuivons les questions. Tbilissi est-elle grise demande-t-on au voyageur?

Pourquoi une telle question, sinon à savoir au moins cela, que Tbilissi c’est à l’Est? Une ville russe peut-être, ou bien une ville des balkans ou de l’ex-URSS dont on n’a jamais trop su les frontières, d’ailleurs. Tbilissi c’est bien à l’Est, à trois heures de route de la mer Noire, c’est-à-dire au Nord-Est de la Turquie avec qui la Géorgie possède une frontière montagneuse et maritime, Petit Caucase et région côtière de Batoumi. Tbilissi est située à une latitude entre celle de Rome et celle de Barcelone.

Echoppe à Tbilisi

Echoppe à Tbilisi

Elle est la capitale de la Géorgie, ce modeste pays de la chaîne du Caucase, peuplé de seulement quatre millions cinq cent mille habitants et qui en tant que nation, a regagné son indépendance en 1991 après soixante dix ans d’occupation soviétique. Ex-république de l’URSS donc, dont l’évocation peut démanger les géorgiens qui ont l’âge de s’en souvenir. Pour autant ils regagnent vite leur attitude naturelle ou bien vous montrent du doigt, là-bas dans le faubourg de Tbilissi, dans le centre-ville de Télavi ou sur les hauteurs de Stéphansminda, l’immeuble en béton qui fait dans ce cas office de métonymie des années grises. Souvent de cet immeuble il ne reste que le béton, coquille aussi vide qu’impossible à déplacer hors de sa vue, devenue le support à nombre d’antennes comme un dernier service rendu avant la charge des bulldozers.

Girafe de Pirosmani

Girafe de Pirosmani

Tbilissi est-elle grise du coup? Comme la girafe de Pirosmani, elle est grise par touches uniquement et cela comme toutes ces villes que nous habitons et connaissons. En revanche, elle n’a rien d’une ville monochrome. On ne dit pas Tbilissi la ville rose en dépit de la révolution des Roses, révolution pacifique et résolue de tout un peuple dont elle fut le théâtre au mois de novembre 2003. On ne dit pas Tbilissi la ville blanche et pas davantage Tbilissi la grise. Littéralement, Tbilissi est la ville chaude qui selon la légende, fut fondée là où le roi ibère Vakhtang Gorgassali trouva dans une source d’eau chaude et sulfureuse le faisan chassé par son faucon. Une capitale autrefois nommée Tiflis, née sous le signe de la chance et de la chaleur et où les bains d’eau chaude et sulfureuse du quartier Orbéliani ou ailleurs, vous accueillent jour et nuit comme si vous étiez le faisan d’un roi.

Les Enfants de Tbilisi

Les Enfants à Tbilisi

La nuit Tbilissi est jaune, d’un jaune comme celui qui éclaire une ancienne chaumière où se côtoient l’ombre, l’éclat contenu du feu de cheminée et le rayonnement d’une lampe à incandescence, un rayonnement qui caresse les mûrs plus qu’il ne les traverse.

Mais là non plus la cité n’est pas monochrome et il suffit de passer sur la Mtkvari en empruntant le pont de la Paix, passerelle pédestre contemporaine où dominent le verre, la vague lumineuse et en mouvement du français Philippe Martinaud et une foule de sourires, pour voir surgir comme la lumière blanche à la sortie du tunnel. L’architecture d’une ville n’est pas sans motif. Est-ce que l’architecture de Tbilissi qui privilégie les balcons ouvragés, les longues terrasses, les façades vitrées comme autant d’ateliers d’artistes, les patios et les cours intérieures, chacun exposant les stigmates des décennies sans rénovation et des anciens tremblements de terre, fissures, boiseries vermoulues, vitres laissant passer l’air, zingueries et ferronneries oxydées. Est-ce que son architecture a pour motif son climat favorable, entre hivers doux et étés raisonnablement chauds? A-t-elle pour cause son goût pour la rencontre et la communauté jusqu’aux soupras, ces tablées fraternelles et festives où les vins, Mtvane et Sapéravi en tête, où les toasts incessants et les chants polyphoniques entre amis, où les enfants, les parents et les grands-parents s’enivrent d’un plaisir commun et répété? Trouve-t-elle son inspiration dans les visages de ses habitants, ces physionomies géorgiennes qui réussissent à marier les volumes généreux ou imposants, les surfaces étroites et les angles saillants et qui nous rappellent, qu’au même titre qu’une façade de la vieille ville, combien aucun visage charmant n’est pourtant rectiligne? Ce qui fait dire au voyageur que Tbilissi a une gueule.

Signani

Signani

La rue. Pour peu qu’elle ait deux voies, trois voies, voire quatre mais n’y comptez pas trop, la rue de Tbilissi est un son. Le son cacophonique d’un klaxon de Lada Jigouli ou de Volga ou d’une automobile récente, une allemande ou une japonaise. Le son des pavés et plus haut, celui reposant des branches des acacias et des platanes, comme des bras penchés aux balcons en fer forgé. Le son de deux copains qui, se tenant l’épaule serrée contre l’épaule, chantent comme dans les scènes les plus joyeuses d’un film d’Otar Iosseliani. Le son des joueurs de cartes et des joueurs de dominos sur un banc ou sur le coffre d’un taxi. Le son de la langue géorgienne, ibéro-caucasique, qui loin d’être l’écho des sonorités voisines, langue russe ou autre langue slave, fait davantage figure de particularité telle une source d’eau chaude dans une plaine gelée, à distance des influences linguistiques qu’on lui imaginerait volontiers, vu d’ici. Et il en va de même de son alphabet, dit mkhédruli, sans rapport avec l’écriture cyrillique et dont les scientifiques ne s’accordent toujours pas à lui attribuer une origine peut-être perse, peut-être grecque.

La rue encore, où une femme qui attend seule au bord du trottoir, est une femme qui attend le minibus.

Souvent elle est habillée en noir  mais son t-shirt ou sa robe sont tout aussi bien d’une autre couleur que le noir, puisque les boutiques pour géorgiennes n’ont rien de boutiques pour babouschkas. Comme il en va partout ailleurs, l’apparence est un double et cet air introspectif, voire préoccupé du géorgien plissant le front, ne désigne en vérité que rarement la gravité et le mécontentement qu’il semble alors afficher. La rue enfin, où pour le piéton, à moins qu’il ne se déguise en girafe, il est clairement périlleux de compter sur le consentement des automobilistes pied au plancher, à lui laisser traverser à sa guise. Rive droite de la Mtkvari, rive gauche sous la résidence présidentielle et sa coupole de verre ou Avenue Roustavéli, il lui faut prendre les passages souterrains prévus à cet effet.

Le Khinkali

Le Khinkali

A Tbilissi comme ailleurs en Géorgie, on peut jouer avec la nourriture. Le khinkali se prend par sa queue, comme on se saisi d’une figue. Le jeu, qui est aussi la bonne manière pour manger ce gros ravioli, consiste à croquer dans la pâte encore chaude du Khinkali après l’avoir saupoudré de poivre, tout en avalant progressivement le jus qu’elle contient, puis avancer ses dents jusqu’à la viande savoureuse, mélangée ou non à des herbes aromatiques, croquer, mâcher et avaler encore, cela toujours en prenant garde à ne pas laisser couler le jus dans son assiette. Les khinkalis s’accompagnent de bière exclusivement. La Géorgie compte quelques brasseries.

Septembre 2011, je fus ce voyageur et ma destination fut ici-même qualifiée d’étonnante. Franchement ! C’est où la Géorgie? C’est musulman ou c’est orthodoxe? C’est en guerre ou c’est en paix? Ils boivent quoi les géorgiens, de la vodka ou du vin de kolkhoze? La capitale, tu dis, c’est Tbi, c’est Tbi comment et à quoi elle ressemble? Et sinon, tu étais le seul touriste en Géorgie et dans quelle langue tu leurs a parlé?

La Géorgie est donc ce petit pays au carrefour des civilisations. Beaucoup de montagnes. De vastes plaines fertiles. Des ports et des plages de galets qui bordent la Mer Noire. Une langue et une écriture qui lui sont propres.

Partance pour la Kakhétie

Partance pour la Kakhétie

Une capitale captivante au nom bizarre et un peuple dont je ne saurais dire la particularité, du moins pas mieux que ne l’a fait autrefois Alexandre Dumas, mais où il me semble qu’un Français peut aisément y retrouver son propre reflet sous une forme à la fois étrangement proche et exotique. A ce point où le miroir peut se retourner et vous désigner tel un autre, comme ces quelques fois où j’ai entendu dire que prangi?! français?! j’avais pourtant tout l’air d’un géorgien, sans qu’on me précise si cela tenait à la taille de mon nez, bref! ou d’une quelconque prodigalité, d’une incapacité éprouvante à fuser un verre de plus ou d’une attitude évoquant peut-être l’introspection, peut-être à cet instant précis, le souci de l’autre. Un petit pays qui, sur un atlas physique de l’Europe, tient largement dans la main, mais dont les richesses tant naturelles qu’humaines et historiques déprécient sérieusement l’empan de cette dernière. Une mosaïque de peuples et d’influences à l’identité multiple précise son jeune président Mickaïl Saakachvili et on peut gager que pour l’heure, l’opposition n’y voit rien à redire. Un petit pays enfin, où le tourisme balbutiant marche encore à quatre pattes et se mettra nécessairement à galoper davantage, que ce soit au nord depuis les villages dominés par les glaciers et les sommets enneigés du Grand Caucase, ou au sud sur les montagnes à vaches du Petit Caucase ou aux abords de ses vastes lacs d’altitude, dans les caves à vin aux cépages endémiques à nouveau cultivés et vinifiés avec méthode, dans les troglodytes labyrinthiques comme à Vardzia, dans les rues et les échoppes branlantes du vieux Tbilissi ou dans ses bistrots-restaurants les plus tendances, Pur-Pur et Café-Gallery.

Des Steppes du Petit Caucase

Des Steppes du Petit Caucase

Au cours de mon voyage en Géorgie, motivé par l’étrange mot Tbilissi et le mythique Caucase, mais aussi par mon amitié pour l’association Bastina, j’ai eu cette chance d’être accueilli par Irma Inaridze et ses proches, d’être d’emblée de la fête lors d’une soupra mémorable en dépit des toasts au vin blanc et au chacha dont j’ai oublié le nombre, de prendre quelques temps la route avec elle ou en compagnie de Ramaz Beglarichvili. Tous deux partagent la connaissance passionnée de leur pays, la francophonie avec cet accent de Tbilissi et la maîtrise de la conduite automobile géorgienne. Avec Irma Inaridze, au restaurant Maspindzelo! du quartier Orbéliani, nous prenions chacun cinq khinkalis. Avec Ramaz Beglarichvili, que ce soit en Kakhétie ou sur la route militaire géorgienne, nous consommions huit ou dix de ces raviolis chacun et un peu plus de bière. J’ai perdu toutes mes parties contre l’un et contre l’autre mais j’ai eu faim de les rejouer chacune. Ce jeu-là se joue où l’on veut en Géorgie et surtout à toute heure, au même titre que géorgiens et géorgiennes pris d’un désir pressant de se marier ne connaissent d’autre obligation que de se rendre tout de suite à la maison de mariage de Sighnari, vaste maison ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec vue panoramique sur les étendues de vignes et sur les sommets enneigés du Caucase oriental et du Dagestan. De quoi rêver pour quelques temps, sans doutes.

Horizon du Petit Caucase

Horizon du Petit Caucase

C’est encore sur la route du Petit Caucase, que j’ai pu lire la joie sur le visage d’Irma et dans les intonations de sa voix, quand nous avons roulé sur un asphalte neuf, puis sur les désormais quatre-vingt kilomètres d’autoroute en Géorgie, symboles palpables de la sortie du pays d’un chemin devenu impraticable et peut-être la aussi, de quoi rêver pour quelques temps…

De Philippe Langevin

David Gareji

David Gareji

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2 commentaires au sujet de l'article “Du Voyage en République de Géorgie

  1. Arnault

    Je suis Alain Arnault, j’habite la région Poitou Charente à Bouillé Loretz et j’ai reçu chez moi Irma Inaridze et Lali,Marina, Irène,Liaet Ina soeur d’Irma.
    J’aimerai avoir des nouvelles.
    Voici ma boite mail: Alain.arnault177@orange.fr
    Merci pour des nouvelles.
    Alain

  2. gilles

    merci pour ce voyage plein de poésie ,nous devons y aller au mois d’aout pour les études de notre fille lui trouver un logement puis virée de 15 jours en butinant sans circuit précis !

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