Gouvernance locale et biodiversité en Casamance
Quels changements de portée historique sont liés à la dégradation des écosystèmes et à la perte de biodiversité?
Pourquoi des valeurs de biodiversité se trouvent-elles encore dans certains sites aujourd’hui mais pas dans d’autres ?
Quelles capacités et quelles forces les ont protégé?
Une fois de plus, la Casamance est aujourd’hui à la pointe de la gouvernance locale des ressources naturelles comme elle l’était autrefois dans la gouvernance des campements communautaires intégrés.
APAC Kawawana dans le Blouf en Casamance qui se réfère à l’expression diola « Kapoye Wafwolale Wata Nanang » (Protéger notre patrimoine qui nous a été légué par nos ancêtres)
APAC : Aire du Patrimoine Autochtone et Communautaire
Avec l’aimable autorisation de Malick Djiba
Ce terme désigne des espaces occupés et utilisés de manière traditionnelle par une ou plusieurs communautés qui sont volontairement dédiés et gérés, pour assurer la conservation à long terme des ressources naturelles et du patrimoine culturel. En peu de mots, une APAC est l’équivalent en gouvernance locale d’une aire protégée déclarée par l’état. Il s’agit d’un ensemble de ressources naturelles fortement lié à une communauté (pour des raisons historiques, culturelles, de subsistance, etc.) pour lequel la communauté même a pris des décisions et établi des règles de gestion qui résultent dans la conservation de ses valeurs écologiques, biologiques et culturelles avec comme but général d’éliminer l’accès libre.
On estime que la gouvernance par les peuples autochtones et les communautés locales est aujourd’hui en mesure de contribuer à la restauration de bénéfices pour tous les utilisateurs des écosystèmes des zones concernées, y inclus donc les non locaux. Cette affirmation, qui est probablement valable pour tous les espaces, est particulièrement vraie pour les espaces sous régime particulier de conservation. Le monde évoluant, plusieurs conditions alentours des conditions de vie des communautés locales ont changé, mais les communautés restent la partie prenante la plus directement et intimement liée à son propre environnement. Si reconnue et appuyées de façon appropriée, ces communautés sont bien capables d’en garantir une utilisation intelligente équitable et durable.
A travers les siècles
Les principaux décideurs et gestionnaires des ressources naturelles ont été des communautés humaines assez restreintes et bien définies, cueilleurs et chasseurs, pêcheurs et agriculteurs, éleveurs transhumants et nomades, utilisateurs de ressources des forêts, des oasis et des sources d’eau, constructeurs de terrasses et de canaux d’irrigation…. Une grande partie des communautés humaines se créèrent en tant qu’unités sociales autour de certaines «unités de ressources naturelles» telles que l’eau d’un bassin versant, les coquillages d’une baie marine ou un troupeau d’herbivores sur un territoire de migration. La biodiversité et la diversité culturelle ont ainsi évolué ensemble dans des milliers de contextes différents et la « gouvernance communautaire », de façon trop souvent peu documentée et mal connue, a développé une grande variété de règles concernant l’accès et l’utilisation des ressources naturelles.
D’ailleurs, si on cherche, on trouve encore partout dans le monde des vestiges des institutions et des règles développées à travers les siècles. Il s’agit des espaces sacrés et réservés, des interdictions et des limitations temporaires ou pérennes d’usage de certaines espèces, des obligations sociales par rapport à l’extraction des ressources gérées par des règles communautaires, et de bien d’autres cas encore. Dans bon nombre de situations, ces règles ont rendu explicites les liens entre les ressources et l’organisation de la vie des communautés, souvent en relation avec l’expérience directe (ou la connaissance indirecte) des moments de pénurie des ressources mêmes. Il est aussi probable que ces règles aient eu plusieurs types d’origine, des superstitions magico-religieuses au désir de sécuriser des privilèges sociaux, par exemple au bénéfice des autorités traditionnelles. Ce que nous pouvons voir en examinant les systèmes traditionnels existants aujourd’hui est que la gouvernance communautaire s’appuie souvent sur des formes d’utilisation durable des ressources naturelles et d’aversion des risques potentiellement catastrophiques pour la vie des communautés.
Nous voyons aussi que ces systèmes dépendent d’obligations mutuelles à l’intérieur des communautés et parmi les communautés, obligations pour la plupart volontaires (culturelles, intériorisées, souvent même identitaires), même si des sanctions locales en cas d’infraction sont possibles et parfois même plus sévères que celles de l’état à des infractions équivalentes. Par exemple, l’habitat européen probablement le plus riche par densité d’espèces – la prairie des îles de la Méditerranée – est entièrement dépendant de l’action des communautés humaines qui l’ont créé pour y faire paître leur bétail. Même dans l’environnement marin, considéré parfois comme une “situation minière” dans laquelle les humains n’ont fait que piller les ressources, on trouve des croyances et des pratiques de conservation d’importance des îles du Pacifique aux cotes de l’Afrique en passant par les eaux glacées de l’Arctique.
Mais pourquoi, si les communautés locales ont joué un rôle si important pour la gouvernance de la biodiversité dans le passé, n’est ce plus généralement le cas aujourd’hui ? Pourquoi voit-on aujourd’hui tant de communautés rurales « pauvres » et destituées ? Pourquoi ont-elles besoin de l’aide internationale pour survivre ? Pourquoi tant d’experts cherchent à leur donner des leçons « scientifiques » sur les changements nécessaires pour « mieux gérer » leur environnement?
Un changement global d’envergure s’est en effet produit au cours des siècles derniers. Il s’agit d’un changement à plusieurs dimensions, mais sa nature par rapport aux ressources naturelles est proprement « politique ». Autrement dit, les propriétaires privés, les états et les entreprises nationales et transnationales ont émergés en tant que nouveaux acteurs dans la gouvernance des ressources naturelles et ont souvent remplacé les peuples autochtones et les communautés locales parfois par la persuasion, souvent par la force.
Ce phénomène historique a été alimenté par la « clôture des terrains communaux » rapidement répandue en Europe à partir du XVIIIème siècle, par les révolutions agricoles qui s’y sont mêlées, par le développement latifondiaire, par l’émergence des pouvoirs financiers, par la création des états nationaux qui ont pris le pouvoir sur les «domaines nationaux» des ressources naturelles, par la révolution industrielle, l’urbanisation et enfin le colonialisme… A travers ces phénomènes et d’autres, très lentement d’abord mais avec une accélération évidente au cours des deux derniers siècles, les communautés ont été déresponsabilisées de leurs rôles de décideurs et de gestionnaires vis à vis des ressources naturelles. Leurs ressources maintenues en propriété collective selon des lois coutumières souvent autant anciennes que complexes ont été appropriées par des propriétaires privés et les états, et mises généralement sous le contrôle de « personnes expertes » qui agissent selon des méthodes « objectives » identifiées et évaluées hors contexte local.
En parallèle, plusieurs autres phénomènes ont aussi émergés. En particulier, les systèmes des valeurs liés à la gouvernance et à la gestion des ressources ont changé de façon plus que substantielle. Les valeurs d’utilisation directe, matérielle ou spirituelle, ont carrément laissé le pas aux valeurs du marché et de la finance des estimations de plus en plus détachées de l’utilisation des ressources et même de leur production effective, sans parler de la durabilité de cette exploitation. En parallèle, les communautés ont perdu une grande partie de leurs capacités à gouverner et à gérer leurs ressources. Leurs systèmes traditionnels de gestion des ressources naturelles – spécifiques à chaque contexte – profondément mêlées aux particularités culturelles et à l’identité locale sont en retrait, partout dans le monde, face au système global agro-industriel de marché.
Dans la société Diola en Casamance
La production agricole et même la pêche sont des formes de « relation » avec la Nature par lesquelles les hommes travaillent proprement ou célèbrent certains rites : la pluie, la terre et la mer donnent ainsi leurs fruits en échange. Même la relation de possession des terres qui est bien présente chez les Diola est liée à l’obligation de les cultiver (relation appelée shil). Parmi les produits de cette relation, le riz, qui possède une importance fondamentale, est apprécié beaucoup plus pour sa valeur alimentaire, rituelle et symbolique que pour sa valeur monétaire. Le riz est l’orgueil de la famille capable de le produire et « on doit avoir beaucoup de riz » pour la sécurité alimentaire, pour l’échanger avec d’autres produits tels que des animaux domestiques et pour en offrir en abondance lors des d’évènements de la vie (funérailles, offrandes aux fétiches, mariages, etc.). La valeur monétaire du riz produit localement n’est pas – et de loin — la valeur la plus importante. (Palmeri, 1990).